Pourquoi La Curie à la Courneuve ?
Dans le quartier Crèvecœur, aux faubourgs de la banlieue même, nous nous sommes installés rue Pierre Curie. Peut-être la rue a-t-elle été nommée à une époque où la vision rétrograde de l’Académie des sciences, le patriarcat et les milieux xénophobes avaient encore suffisamment d’influence pour que l’on écarte sans ciller des honneurs une femme extraordinaire, qui avait l’outrecuidance d’être d’origine étrangère, d’être veuve et de ne pas vivre pour autant en humble recluse. Pour nous, aujourd’hui, la rue Curie, ce serait plutôt la rue Pierre et Marie Curie, voire Marie et Pierre Curie. En tout cas, rue Curie, il y a désormais La Curie.
Lorsque Suger dédia ces domaines de l’est dionysien à la vigne, sans doute pour parer à une dissipation accélérée de la production de vin de messe, il y installa un prévôt et ce fut la Curia Nova ou Curtis Nova, la Curie, la Cour Neuve. Plutôt coin de ferme que tribunal administratif, notre Curie était peut-être alors le lieu-dit du Pinet, dont deux pins donnent aujourd’hui réminiscence au fond du jardin. Elle avait pu conserver une forme d’indépendance un peu barbare, héritant en esprit du moins de la proximité du Champ de Belenos, lieu de conciliabule temporaire autour d’un culte solaire gallo-romain.
Car en effet, la Curie, c’est aussi le rassemblement tribal pour délibérer d’affaires communes, pour porter l’attention (cura) sur elles. On en voit encore la trace dans la langue. Ne plus s’attacher à la défense de l’intérêt général, c’est l’incurie. On est curieux quand on se soucie d’une affaire, on en a cure. La cure, c’est en outre se soigner, prendre soin de soi, de quelqu’une ou quelqu’un – on retrouve le « care » anglo-saxon, qui est aussi une vision de la société. Ce qui est intéressant dans la version romane du terme, c’est que le soin de la curie, non seulement est collectif, organisé, mais se prend au sens de la délibération collective, sans se fixer la tâche de corriger la société de manière réticulaire voire organique, quand ce serait par la bonté. La Curie, c’est un lieu politique à l’échelle qu’elle trouve, où se joue quelque chose qui n’est pas joué d’avance, où l’esprit de décision se construit peu à peu et où la justice se renforce d’être nommée sociale.